Des performances attrayantes sans risque excessif? Quand quelque chose a l’air trop beau pour être vrai, c’est généralement le cas. Pourtant, depuis plus de dix ans, l’investissement dans l’immobilier européen «core» – à savoir l’achat de bâtiments situés en majorité dans des zones urbaines – a généré des résultats qui en sont très proches.
Aujourd’hui, le compromis risque-performance est moins favorable. L’augmentation des taux d’intérêt (les taux plafondsLes taux de capitalisation reflètent le rendement que les investisseurs sont prêts à accepter pour leurs investissements immobiliers. Ils sont habituellement calculés à partir du revenu d’exploitation annuel net d’un bien divisé par sa valeur de marché. s’orientant donc eux aussi à la hausse), l’évolution des préférences des occupants et le durcissement des réglementations environnementales forment une conjoncture moins clémente. Cela ne signifie pas pour autant que les investisseurs immobiliers devraient se résigner et se contenter de performances plus modestes. Ils devraient au contraire porter le regard au-delà des investissements immobiliers plus classiques.
Plus précisément, nous pensons que les investisseurs institutionnels à la recherche d’un certain niveau de performance dans l’immobilier devraient envisager des allocations dans des stratégies d’investissement «value add» ou «core plus».
Même si la majeure partie des performances de l’immobilier «core» reposait traditionnellement sur les revenus locatifs, la stratégie a bénéficié, ces dernières années, d’un soutien inhabituellement fort grâce à la hausse de la valeur des biens immobiliers. En effet, pendant la période de faibles taux d’intérêt et d’inflation contenue, les investisseurs étaient prêts à payer plus cher pour obtenir un flux de revenus, les taux de capitalisation n’ont donc eu de cesse de chuter et les valeurs des biens de grimper.
À présent, toutefois, cette tendance s’inverse. En raison de l’augmentation des taux d’intérêt et de l’inflation, les taux de capitalisation grimpent déjà, ce qui provoque une baisse des valorisations, à flux de revenus identique. Dans l’immobilier européen haut de gamme, les taux de capitalisation ont gagné 30-100 points de base en 2022, et cela devrait continuer.
Certains des immeubles les plus recherchés jusqu’alors – les biens situés dans des emplacements centraux – pourraient en outre être ceux qui souffrent le plus. En effet, l’immobilier connaît actuellement un autre changement majeur: les réglementations environnementales se durcissent. Aujourd’hui, les critères de durabilité ne sont plus une option; ils deviennent une nécessité.
Responsabilité en matière de développement durable
Pendant la décennie à venir, le secteur immobilier devra enfin faire face à ses responsabilités environnementales. Ce sera sans nul doute une entreprise colossale: les bâtiments représentent 40% de la consommation totale d’énergie de l’Union européenne, 36% de ses émissions de CO2 et plus de la moitié de sa consommation d’électricitéhttps://ec.europa.eu/energy/topics/energy-efficiency/energy-efficient-buildings_en. Gouvernements et organismes de réglementation surveillent déjà de très près le secteur, et on avance vers des règles environnementales encore plus strictes.
Récemment, les Pays-Bas ont interdit d’attribuer aux immeubles de bureaux ne respectant pas des normes minimales en matière d’efficacité énergétique un certificat de performance énergétique (CPE) de catégorie C – c’est-à-dire modérément efficace – ou supérieure. Étant donné que, comme l’affirme l’agent immobilier Savills, environ 40% du parc de bureaux existant dans le pays ne répond pas à ces exigences, d’importants bouleversements sont à venir. En d’autres termes, du jour au lendemain, une grande partie des bureaux aux Pays-Bas risquent de se transformer en actifs irrécupérableshttps://www.savills.co.uk/research_articles/229130/336539-0. Pour compliquer encore davantage les choses, le Gouvernement néerlandais prévoit, d’ici à 2030, d’augmenter progressivement le seuil minimum jusqu’à la catégorie A et de l’étendre à d’autres secteurs, ce qui bloquerait encore plus d’actifs immobiliers dans le pays. Il faut rénover de toute urgence, mais de nombreux propriétaires de biens immobiliers «core» ne sont pas en mesure de le faire.
Ailleurs, on peut observer des tendances comparables. La plupart des pays européens appliqueront des exigences minimales en matière d’efficacité énergétique dans les années à venir. Le Parlement européen vient d’adopter une directive actualisée sur la performance énergétique des bâtiments. Celle-ci explique comment le secteur immobilier parviendra à la neutralité carbone d’ici à 2050. Ce plan propose entre autres d’interdire les systèmes de chauffage utilisant des carburants fossiles à partir de 2035https://www.europarl.europa.eu/news/en/press-room/20230206IPR72112/energy-performance-of-buildings-climate-neutrality-by-2050.
C’est un problème particulièrement sérieux pour les investisseurs en immobilier «core», qui achètent et conservent généralement des immeubles sur de longues périodes et ont tendance à limiter leurs rénovations à des changements esthétiques. Un fonds de pension avec qui nous avons récemment échangé estime que 70% de son portefeuille risque d’être frappé d’obsolescence dans les années à venir.
Cela dit, le durcissement des réglementations environnementales offre également de nouvelles opportunités d’investissement, notamment pour les investisseurs disposant du savoir-faire et des capacités pour rénover et moderniser les biens immobiliers qu’ils achètent. Quelque 85% des bâtiments européens actuels seront encore debout en 2050, et le taux de rénovation dans la région ne s’élève aujourd’hui qu’à 1% par an. Pour atteindre ses objectifs de neutralité carbone d’ici à 2050, l’Europe doit «moderniser à grande échelle» selon le GRESBhttps://www.gresb.com/nl-en/green-or-bust-the-future-of-real-estate/.
Pictet a fait de la rénovation un pilier essentiel de ses stratégies immobilières «value add» et «core plus». De plus, nous nous concentrons essentiellement sur l’amélioration des critères de développement durable des biens immobiliers dans lesquels nous investissons. Il s’agit, entre autres, de l’installation de pompes à chaleur (capables à la fois de chauffer et de refroidir), de l’approvisionnement en énergie renouvelable uniquement, de l’utilisation de capteurs visant à optimiser la consommation d’énergie et d’eau, et de l’isolation supplémentaire des murs et des fenêtres. Nous pouvons également nous appuyer sur l’utilisation de matériaux de construction durables (comme le bois stratifié), sur l’installation de panneaux photovoltaïques pour produire de l’énergie renouvelable ou sur un engagement à n’envoyer aucun déchet aux décharges. Récemment, la rénovation et le repositionnement de notre centre de données en Suède ont permis, par exemple, de réduire les émissions de carbone de 62% par rapport à leur niveau au moment de l’acquisition de ce bien.
Opportunité dans le haut de gamme
Les bâtiments éco-responsables imposent déjà des primes de valorisation. Selon une étude de MSCI, les prix de vente des immeubles de bureaux incluant des notes de durabilité sont supérieurs d’un tiers à un quart à ceux des immeubles non notéshttps://www.msci.com/research-and-insights/2023-trends-to-watch-in-real-assets.
Ils profitent également de loyers plus élevés étant donné que leurs occupants, qu’il s’agisse d’entreprises ou de particuliers, louent de plus en plus des locaux durables, non seulement par principe, ou parce qu’ils permettent aux entreprises d’atteindre leurs propres objectifs de neutralité carbone, mais aussi parce que les biens immobiliers écoénergétiques ont des coûts d’exploitation inférieurs.
Par exemple, ces cinq dernières années, les loyers de bureaux européens bénéficiant d’une certification éco-responsable ont été en moyenne 21% plus élevés que ceux de bureaux non certifiés, selon une étude de CBRECBRE, «Is sustainability certification in Real Estate worth it?», 2021.
Les investisseurs commencent à entrevoir les opportunités offertes par des stratégies immobilières proactives capables de s’adapter à ces conditions changeantes. Selon les données de Preqin, les fonds «value add» sont devenus la stratégie dominante en 2022 et représentent environ 35% du total des capitaux collectés, contre 27% pendant les deux dernières décennies«Preqin Global Report 2023: Real Estate».
Au cours des 15 dernières années, l’immobilier «core» a offert aux investisseurs des performances ajustées au risque très intéressantes. Selon nous, compte tenu de la nouvelle réalité générée par les taux d’intérêt, ainsi que de l’impératif écologique qui s’applique aux bâtiments, les fonds «value add» et «core plus» susceptibles de contribuer à la transition écologique offriront des opportunités d’investissement plus attrayantes (et, même si cela paraît contre-intuitif, moins risquées) au cours des 10 années à venir.