Les actions des marchés émergents ont tenu beaucoup de promesses, mais elles ont également, pendant des périodes plus longues, plutôt déçu. Malgré le fort potentiel des économies émergentes – depuis 1988, la croissance annuelle de leur PIB s’est établie à 4,7%, contre 2% pour les économies développées – leurs marchés d’actions n’ont pas toujours affiché les performances correspondantes.
L’une des raisons à cela vient de l’hétérogénéité des marchés émergents proprement dits. Pourtant, en les regroupant en fonction de leurs caractéristiques économiques sous-jacentes, les investisseurs pourraient mieux calibrer leur exposition à cette classe d’actifs, ce qui devrait les aider à améliorer leurs performances.
Cycles longs
Depuis leur lancement en tant que classe d’actifs en 1988, les actions émergentes ont légèrement surperformé les marchés développés. Mais cela n’a pas été de tout repos et elles ont connu deux longs cycles au cours de cette période.
Entre 1988 et 1994, les actions des marchés émergents ont nettement surperformé celles des pays développés, en partie grâce à l’ouverture des anciens pays communistes et à l’explosion de la production manufacturière en Asie. Elles ont ensuite sous-performé pendant une grande partie de la décennie suivante face à un redémarrage de l’économie américaine, qui a entraîné une bulle technologique et un renforcement du dollar et a déclenché une série de crises dans les économies émergentes arrimées au billet vert. Tout cela s’est terminé avec l’explosion de la bulle technologique et les attentats du 11 septembre contre les États-Unis au début des années 2000. Les marchés émergents ont fait leur retour au cours de la décennie suivante, avant de s’affaisser lorsque les taux d’intérêt sont tombés à zéro au lendemain de la crise financière mondiale.
L’une des caractéristiques les plus marquantes pour les marchés émergents au cours de cette période était la variabilité des réactions aux facteurs économiques entre les différents marchés d’actions nationaux qui composent la classe d’actifs. Bien que la corrélation entre les marchés d’actions émergents soit nettement plus forte entre eux qu’avec d’autres classes d’actifs, y compris avec les actions des marchés développés, on observe une forte dispersion dans la corrélation entre ces mêmes marchés d’actions et les facteurs macroéconomiques. Les investisseurs peuvent notamment s’appuyer sur la gestion de cette dispersion pour tirer le meilleur parti de leur exposition aux marchés émergents.
Donner du sens aux marchés émergents
D’une manière générale, quatre grandes divisions caractérisent les économies des marchés émergents: 1) la Chine face au reste de l’univers émergent; 2) les exportateurs de matières premières face aux pays manufacturiers; 3) les débiteurs face aux créanciers; 4) et enfin les économies ouvertes face aux économies fermées.
Ces divisions permettent d’expliquer à la fois les cycles de surperformance et de sous-performance.
Prenons la première, la Chine face au reste des marchés émergents. Alors que l’économie chinoise surpasse le reste des marchés émergents depuis 2008, avec une croissance nominale annuelle moyenne de l’ordre de 10%, et une augmentation des bénéfices des entreprises tout aussi solide sur la même période, les bénéfices par action sont restés coincés en milieu de peloton. En fait, les entreprises chinoises ont dilué leur performance pour les investisseurs en émettant de grandes quantités d’actions. Ainsi, un investisseur affichant une forte pondération en actions chinoises durant la dernière décennie aurait vu ses résultats rester en retrait.
Viennent ensuite les pays riches en matières premières. Plus ils sont dépendants de la vente de matières premières, plus leur croissance économique est volatile par rapport aux pays émergents manufacturiers. C’est pourquoi les marchés d’actions des producteurs de matières premières ont subi une décote par rapport à ceux des pays manufacturiers.
De leur côté, les pays débiteurs ont été plus exposés aux variations des taux d’intérêt aux États-Unis et du dollar américain. Cette vulnérabilité s’est traduite par une sous-performance des marchés d’actions de ces pays par rapport à ceux des pays émergents créanciers, en particulier depuis le Taper Tantrum de 2013, lorsque la Réserve fédérale américaine a annoncé qu’elle allait réduire son programme d’achat d’actifs (voir Fig. 1).
Enfin, il y a les économies ouvertes et fermées. Les économies fermées, à l’exclusion de la Chine, ont surperformé les économies ouvertes pendant le boom des matières premières, de 2001 à fin 2007, mais elles ont nettement sous-performé depuis.
En résumé, les investisseurs qui, au cours de la dernière décennie, étaient moins exposés à la Chine, aux pays producteurs de matières premières, aux pays débiteurs et aux économies fermées auraient surperformé l’indice de référence des actions émergentes pendant cette même période. Ce ne sera probablement pas le cas dans les années à venir.
Un nouveau cycle?
De plus en plus de signes laissent entendre que les actions des marchés émergents devraient connaître une nouvelle période forte par rapport aux marchés développés. Si l’on doit se fier aux enseignements de l’histoire, elle pourrait durer une décennie ou plus. Notre approche analytique nous donne une idée des économies émergentes qui devraient en bénéficier le plus.
Elle suggère que les investisseurs devraient augmenter leur pondération de la Chine par rapport au reste des marchés émergents, des pays producteurs de matières premières par rapport aux pays manufacturiers, des débiteurs et des économies ouvertes.
La Chine, qui domine la classe d’actifs, a été l’un des principaux moteurs de sa sous-performance au cours de la dernière décennie. Néanmoins, le marché d’actions et l’économie du pays arrivent à un tournant. Pékin réduit ses interventions dans certains secteurs. Le marché immobilier semble atteindre son point bas et la domination de ce secteur est moins forte: il représentait 8,6% du PIB en 2023, contre un maximum de 15% atteint en 2014. En outre, les dirigeants d’entreprises sont encouragés à s’intéresser davantage à la valeur pour les actionnaires, ce qui devrait également freiner leur tendance à diluer la part des actionnaires existants.
Parallèlement, la longue période de surévaluation du dollar devrait prendre fin lorsque la Réserve fédérale américaine commencera à baisser ses taux. Étant donné qu’il existe une corrélation inverse entre la performance du dollar et celle des actions émergentes, ce serait un signal positif pour les marchés émergents, en particulier les économies émergentes plus ouvertes. De plus, les signes d’une reprise du commerce mondial grâce au rebond post-COVID des économies et à un ralentissement de certaines tendances aux relocalisations devraient également soutenir la prime de croissance des pays émergents par rapport aux pays développés (voir Fig. 2).
Écart entre le PIB des marchés émergents et des marchés développés (%) et performance des marchés d’actions émergentes par rapport aux marchés d’actions développées (retard de 9 mois)
Source: Pictet Asset Management, CEIC, Refinitiv. Données couvrant la période allant du 01.05.1992 au 01.05.2024.
Plusieurs facteurs à long terme devraient également soutenir les actions des marchés émergents. Tout d’abord, les marchés d’actions émergentes sont fortement sous-évalués par rapport à ceux des pays développés. La réévaluation des facteurs d’attraction des marchés émergents devrait entraîner une revalorisation de ces marchés. Parallèlement, la transition énergétique mondiale au détriment des carburants fossiles profitera non seulement aux pays émergents qui produisent les matières premières nécessaires, telles que les minerais utilisés pour les cellules photovoltaïques, mais aussi aux pays plus proches de l’équateur et donc plus ensoleillés. En devenant plus matures, les économies des marchés émergents se diversifient également, ce qui devrait être un autre facteur positif pour leurs marchés d’actions.
À cause des cycles longs sur les marchés émergents, pendant les périodes baissières, les investisseurs oublient souvent les attraits à plus long terme de cette classe d’actifs – l’amélioration des performances ajustées au risque. En comprenant que les marchés émergents sont hétérogènes et que leurs économies peuvent être triées en différents groupes aux comportements différents dans différents environnements macroéconomiques, il est plus facile d’atténuer ces baisses et de stimuler les performances pendant la période haussière du cycle.