Comment intégrez-vous les critères ESG dans le processus de due diligence des co-investissements potentiels?
Pour nous, collecter des données n’est utile que lorsque l’on en fait quelque chose. Nous évaluons la maturité et les pratiques ESG des general partners, puis nous les comparons et transmettons nos commentaires de façon active, par exemple en nous engageant auprès des gérants qui sont en retard et en partageant nos attentes dans le but d'améliorer les normes de l'industrie dans son ensemble. Dans notre quête de données de meilleure qualité, nous avons rejoint le comité directeur de l’initiative ESG Data Convergence dans le secteur du capital-investissement. Ces données nous ont ensuite servi à concentrer nos efforts et à hiérarchiser nos engagements auprès des gérants.
Les éléments que nous recherchons dans un co-investissement doivent répondre à l’un de nos cinq piliers: réduction des émissions de gaz à effet de serre, biens de consommation et agriculture durables, contrôle de la pollution, économie circulaire et technologies soutenant les quatre autres piliers. Dès lors qu’un investissement correspond à un ou plusieurs de ces segments, nous cherchons des chiffres d’affaires en hausse et des indicateurs clés de performance environnementale évoluant dans la bonne direction.
La mesure de la contribution environnementale d’une entreprise est également essentielle, mais elle peut être difficile, en particulier pour les petites entreprises. Dans ces situations, nous essayons de nous mettre en relation avec l’équipe de direction de l’actif sous-jacent pour mieux comprendre son cycle de vie et son empreinte sur les questions environnementales. Au bout du compte, c’est une source de création de valeur, car quand vient le moment de procéder à une nouvelle levée de fonds ou de céder l’investissement, montrer ces données augmente le nombre d’investisseurs potentiels et peut également avoir un impact positif sur la valorisation.
Pouvez-vous nous parler du cadre des Limites planétaires?
Les Limites planétaires sont un cadre ouvert conçu par le Stockholm Resilience Centre. Pictet a consacré beaucoup de ressources à la mise au point d’un modèle propriétaire fondé sur ce cadre qui nous permettrait d’adopter une approche complète de l’évaluation des opportunités d’investissement. Grâce à lui, nous pouvons cartographier les investissements au regard de centaines de segments d’activité différents. Nous pouvons ainsi estimer l’empreinte des activités économiques d’une entreprise selon les neuf limites planétaires.
Ce modèle est utilisé depuis plusieurs années pour nos activités dans les investissements cotés et nous le déployons désormais également pour le capital-investissement. Cartographier les entreprises dans des segments d’activité au modèle économique plus disruptif et aux technologies plus naissantes est un peu plus compliqué. Cela réclame quelques ajustements et prend donc plus de temps.
En utilisant le modèle des limites planétaires, nous pouvons rapidement évaluer si un investissement mérite que l’on s’y attarde ou non: si les activités économiques d’une entreprise ont, en moyenne, un impact négatif trop important, nous n’allons pas plus loin. Cela dit, la partie la plus intéressante du modèle réside dans sa capacité à nous montrer l’empreinte que les activités économiques d’une entreprise peuvent avoir sur chacune des neuf limites, ce qui fait apparaître des opportunités d’engagement.
Par exemple, si une entreprise a une contribution bénéfique significative, car elle réduit les émissions de gaz à effet de serre, mais qu’elle a également un impact négatif sur la biodiversité, nous y trouvons une opportunité d’engagement auprès du general partner – voir de l’équipe de direction proprement dite – en vue de mieux en comprendre les causes et de chercher comment résoudre ce problème.
Comment décririez-vous l’échelle des opportunités en matière de durabilité?
Nous recevons au moins trois à quatre opportunités de co-investissement par semaine. Bien sûr, dans de nombreuses situations, l’opération n’est pas à un stade suffisamment avancé, ou bien l’historique du general partner ne nous convient pas, par exemple, mais cela vous donne tout de même une idée de l’envergure des flux de transactions qui existent. En effet, on compte de plus en plus d’entreprises qui se concentrent exclusivement sur l’environnement et nous investissons dans des fonds primaires pour beaucoup d’entre elles.
Parallèlement, la majorité des grandes entreprises de capital-risque, de croissance et de rachat (buyout firms) investissent désormais elles aussi une part substantielle de leurs capitaux dans des thèmes environnementaux.
Pourquoi l’environnement est-il un thème d’investissement si intéressant pour vous? Quels sous-secteurs considérez-vous comme les plus intéressants?
Selon nous, il est possible d’obtenir des performances exceptionnelles en investissant dans des entreprises qui cherchent à répondre à des défis environnementaux urgents. Nous voyons des entreprises bien établies dont le rachat est en cours et qui affichent entre 20 et 30% de croissance ainsi que des marges saines. Nous pensons également que le risque de perturbation technologique ou réglementaire est moins grand lorsque l’investissement soutient des thèmes environnementaux, car cela revient à investir aujourd’hui dans l’économie de demain.
Le recyclage constitue un bon exemple de thème d’investissement environnemental qui répond aux critères de performance financière, car compte tenu de l’inflation élevée, il est de plus en plus considéré comme prioritaire. Nous avons ainsi investi dans une entreprise qui recycle les gaz nocifs émis par les systèmes de climatisation. Cette société présente un profil environnemental positif non négligeable ainsi que des marges élevées et une forte croissance.
Il est possible d’obtenir des performances exceptionnelles en investissant dans des entreprises qui répondent à des défis environnementaux urgents
Aussi convaincant qu’un secteur puisse être, il est important d’acheter à une valorisation attrayante. Lorsque nous nous sommes penchés sur les investissements dans la production de batteries pour les véhicules électriques, par exemple, nous avons réalisé que les valorisations étaient déjà trop élevées. Nous avons donc commencé à explorer d’autres maillons de la chaîne de valeur et nous avons fini par investir dans une société spécialisée dans les aimants qui sont essentiels à la production de véhicules électriques. Nous pourrons donc tout de même profiter des avantages offerts par l’adoption croissante des véhicules électriques, et nous avons pu obtenir une exposition à cette tendance avec un multiple plus attrayant.
Le ciment constitue un autre exemple. Le secteur de la construction est en effet responsable de 6 à 8% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Même si plusieurs technologies visant à produire du ciment neutre en carbone ont été mises au point, aucune d’entre elles n’est commercialement viable. Nous cherchons ardemment une opportunité d’investissement dans ce domaine. De même, nous aimerions trouver une ouverture dans le domaine de la viande de laboratoire (autrement appelé viande cultivée), mais là encore, les données économiques ne sont pas encore satisfaisantes.
Quels sont les facteurs de réussite pour le co-investissement dans le domaine environnemental?
Le co-investissement repose principalement sur le fait de disposer d’un réseau bien établi et d’une expertise permettant de prendre rapidement de bonnes décisions. Pictet a toujours eu une culture du partenariat. Nous sommes proches des general partners que nous soutenons, nous connaissons les partenaires, nous connaissons les actifs et nous sommes fiables.
Nous comprenons également qu’un «non» rapide peut être aussi important qu’un «oui» rapide. Presque tous ceux qui rejoignent notre équipe viennent du milieu de l’investissement direct. C’est pourquoi nous avons la volonté et la capacité d’étudier en profondeur les opérations et de dialoguer avec les équipes dirigeantes sur les possibilités de création de valeur. Nous sommes flexibles en ce qui concerne la taille des investissements et nous tenons nos promesses. Cela fait 30 ans que cela dure. Nous formons une machine de co-investissement expérimentée et bien huilée.
Cet article a été publié dans la section entretien central du numéro de mars de Private Equity International sur le co-investissement.