Des gratte-ciel en bois? Cette idée devient de plus en plus réaliste dans des villes du monde entier.
De plus en plus d’urbanistes remplacent l’acier et le béton par du bois comme matériau de construction plus durable, résistant et économique.
Alors que la part du bois dans la construction totale varie d’un pays et d’une région à l’autre, les données montrent que le nombre de bâtiments en bois construits chaque année aux États-Unis double tous les deux ans. Il est en bonne voie d’atteindre au moins 24 000 d’ici 2034, date à laquelle le secteur de la construction stockerait plus de carbone qu’il n’en émettraitNorth American Mass Timber Report: 2020 State of the Industry.
Aujourd’hui, les avancées technologiques et les changements de réglementation ouvrent la voie au bois dans tous les types de construction, des complexes de bureaux aux immeubles de grande hauteur dits «plyscrapers».
«L’Europe mène la transition vers le bois, mais les États-Unis, l’un des plus grands marchés immobiliers au monde, sont de plus en plus dynamiques», explique Clark Binkley, Managing Director chez International Forestry Investment Advisors à Portland, dans l’Oregon.
«Cela pourrait être essentiel pour réduire l’empreinte carbone des immeubles et favoriser une transition écologique.»
Le bois réinventé
Le bois est un matériau de construction traditionnel utilisé depuis des siècles dans le monde entier dans des structures. Il est apprécié pour ses propriétés durables et résilientes, ainsi que pour sa relative facilité d’approvisionnement et de construction.
Construit en 607 apr. J.-C., le temple d’Horyuji près de Nara, au Japon, est le plus ancien bâtiment en bois survivant au monde qui utilise l’hinoki, ou cyprès japonais, tandis que la plus ancienne porte de l’abbaye de Westminster à Londres, en chêne, date de 1050 apr. J.-C..
Toutefois, ces dernières décennies, ce matériau renouvelable est tombé en désuétude face au béton et à l’acier, considérés comme plus durables, plus résistants à la putréfaction et plus faciles à produire en masse.
Généralement, en Europe, les bâtiments résidentiels utilisent environ 20% de bois dans leur armature; cette part chute à seulement 5% pour les bâtiments commerciaux. Aux États-Unis, le contraste est encore plus important, avec près de 90% pour les maisons et moins de 10% pour les espaces commerciaux.
«Dans l’ensemble, il y a une marge de manœuvre considérable pour augmenter l’utilisation du bois dans la construction, en particulier à l’heure où une crise climatique intensifie la pression sur le secteur du bâtiment», explique Binkley.
Les bâtiments du monde entier sont responsables de 40% des émissions mondiales de carbone. Il est essentiel de réduire l’empreinte environnementale du secteur.
La bonne nouvelle, c’est que les technologies innovantes changent la façon dont nous construisons en bois.
Le bois lamellé-collé (CLT) est un des produits les plus prometteurs: il s’agit d’un panneau de construction en bois scié, collé et stratifié. Développé en Europe dans les années 1980, le CLT est un matériau à faible teneur en carbone qui est aussi résistant que le béton, mais cinq fois plus légerCollege of Natural Resources.
Certains des projets ambitieux pour des tours et de grands complexes reposant sur le bois aux États-Unis témoignent du potentiel du bois transformé comme matériau de construction durable et viable.
Le géant de la tech Microsoft a utilisé le CLT pour construire son campus de la Silicon Valley qui est la plus grande structure en bois construite à ce jour aux États-Unis.
L’utilisation du bois, ainsi que d’autres matériaux durables, contribue à l’objectif de l’entreprise de réduire ses émissions de carbone opérationnelles de 75% d’ici 2030.
Avec ses 25 étages, l’Ascent Building à Milwaukee, dans le Wisconsin, est le plus haut bâtiment en bois au monde.
Pour répondre aux codes de la construction, cette tour hybride a utilisé du CLT, des piliers et des poutres en bois lamellé-collé (glulam), ainsi que des noyaux en béton armé.
Un programme d’innovations dans le domaine du bois de l’US Department of Agriculture Forest Service a fourni des subventions pour les travaux d’ingénierie et de conception et les essais de résistance au feu contrôlésUSDA.
On prévoit que le marché mondial du CLT atteindra 2,5 milliards de dollars d’ici à 2027 contre 1,1 milliard de dollars en 2021, soit une croissance annuelle de 15% environMarkets and Markets.
Certains experts estiment qu’il pourrait croître encore plus vite. En effet, les révisions de la réglementation facilitent l’utilisation du bois dans la construction aux États-Unis, explique Binkley.
Jusqu’à récemment, dans la plupart des villes américaines, la limite de hauteur pour les bâtiments en bois était d’environ 26 m, soit sept étages. Mais les récentes révisions importantes du Code international de la construction (IBC) en 2021, un code de la construction modèle qui établit des exigences minimales pour les systèmes de construction, ont amené cette limite à 18 étages.
Le frein au renouveau du bois est l’idée bien ancrée dans les consciences que les constructions en bois présentent un risque d’incendie sérieux. Cependant, ces idées préconçues doivent être corrigées.
Les tests de sécurité montrent que les progrès réalisés dans les méthodes de production et de construction ont accru la résistance du bois à la combustion.
Lorsque les couches extérieures d’une poutre en bois sont carbonisées, elles protègent le noyau contre les dommages pendant une durée prolongée.
Par ailleurs, de nouvelles technologies telles que le CLT peuvent produire un tissage plus solide et résistant au feu capable de surpasser les structures en acier non protégées sur le plan de la sécurité incendie.
De plus, si le bois peut provenir de forêts trop denses, le risque d’incendie en forêt pourrait être réduit. Les feux de forêt coûtent actuellement 25 milliards de dollars en pertes au total, le sud-ouest des États-Unis étant l’une des régions les plus touchées.
Impact faible, avantages élevés
Encourager l’usage du bois dans la construction peut bénéficier considérablement à l’environnement.
Dans une étude qui fera date, les scientifiques ont constaté qu’une utilisation accrue du bois dans la construction non résidentielle pourrait réduire les émissions de 870 millions de tonnes équivalent CO2 sur 50 ans, soit la quantité de pollution générée par 233 centrales au charbon en un anGu, Hongmei & Nepal, Prakash & Arvantiis, Matthew & Alderman, Delton. (2021). Carbon Impacts of Engineered Wood Products in Construction. 10.5772/intechopen.99193..
La même étude a également révélé que l’empreinte carbone de la construction de gratte-ciel en bois ou plyscrapers était plus faible que celle des immeubles conventionnels. Cette étape est généralement la phase la plus polluante d’un projet, car cela nécessite l’extraction de matières premières, la transformation, le transport, l’installation et l’élimination des déchets.
Connues sous le nom de carbone incorporé (CE), ces émissions de la phase de construction correspondent aux premières années d’un projet et représentent jusqu’à 45 % des émissions totales d’un bâtiment au cours de sa vie. Les bâtiments à base de bois peuvent réduire de 18 à 50% la valeur médiane de CE, portant le CE des bâtiments en bois à 157-315 kg CO2e/m2 de surface au sol, comme le montre l’analyse. Par ailleurs, les bâtiments utilisant du bois transformé peuvent réduire de 16 à 44 milliards de tonnes les émissions de CO2e dans le monde par rapport au béton et à l’acier d’ici 2060.
Une réduction de cette ampleur équivaudrait à retirer 3,5 à 9,6 milliards de véhicules de tourisme de la circulation en un anEn supposant une valeur médiane de CE pour les immeubles traditionnels en béton et en acier de 384 kg CO2e/m² de surface au sol et en prévoyant 230 milliards de m² de surface au sol totale à construire d’ici 2060 pour répondre à la croissance et aux besoins de la population mondiale. Source: Gu et al. (2021).
Les références environnementales du bois ne se limitent pas aux réductions d’émissions. Grâce à leurs excellentes propriétés thermiques et à leur aspect chaleureux, les bâtiments en bois devraient économiser de l’énergie non seulement pendant la construction, mais aussi tout au long de leur durée de vie, selon Binkley.
La technologie de nouvelle génération et l’amélioration des réglementations devraient aider les bâtiments en bois à prendre de la hauteur et à se multiplier dans les années à venir.
«Le bois peut être un levier important dans notre lutte contre le changement climatique», explique Binkley.
Infos investissement: renforcer l’impact grâce à la gestion des forêts
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Alors que le monde intensifie l’utilisation du bois dans les bâtiments, il n’a jamais été aussi urgent de gérer correctement les forêts et de prendre soin des écosystèmes forestiers pour préserver l’approvisionnement en arbres et maintenir la capacité des arbres à capturer le carbone.
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En effet, une forêt gérée – qui implique la coupe, la plantation et la replantation ainsi que la protection de la biodiversité – capture et piège plus d’émissions de CO2 de l’air qu’une forêt non gérée.
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Des recherches en Allemagne montrent que l’effet total d’atténuation des forêts gérées varie entre 3,2 et 3,5 t équivalent CO2 par hectare et par an, soit 10 fois plus que celui des forêts non géréesY compris la bioénergie et le stockage du carbone. Sbimkchulze, E. et al. (2020). The climate change mitigation effect of bioenergy from sustainably managed forests in Central Europe. GCB Bioenergy. 12. 10.1111/gcbb.12672..
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L’augmentation de la demande en produits du bois pourrait entraîner une hausse des prix du bois et inciter ainsi l’économie à investir dans des activités forestières durables.