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Les fabricants de semi-conducteurs représentent-ils un problème environnemental croissant ou une solution écologique?

Gestion active d’actions
Les caractéristiques environnementales du secteur des semi-conducteurs sont scrutées de très près. Les puces informatiques sont néanmoins essentielles à la transition vers zéro émissions nettes.
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Les défenseurs de l'environnement sont de plus en plus nombreux à penser que le secteur des semi-conducteurs nuit à la planète. Cette préoccupation est légitime. Les puces sont fabriquées dans des installations gigantesques et gourmandes en ressources. Chaque année, la consommation d’eau du secteur dépasse largement les 100 milliards de litreshttps://www.semiconductor-digest.com/water-supply-challenges-for-the-semiconductor-industry ; ses émissions de gaz à effet de serre s’élèvent à près de 100 millions de tonnes Global Energy Review 2021 de l’AIE, SEMI ; et il est également un consommateur vorace de terres rares et un important producteur de déchets toxiques.

Les préoccupations concernant l'empreinte écologique des semi-conducteurs se sont également intensifiées ces dernières années, du fait de l'augmentation de la puissance des ordinateurs et de la hausse exponentielle de la consommation d'énergie de ce secteur.  En outre, aux États-Unis et en Europe, les gouvernements prévoient d’investir très prochainement des dizaines de milliards de dollars dans le renforcement de leur capacité de production domestique de puces électroniques. Leur objectif est de sécuriser un approvisionnement fiable, mais ils vont aussi certainement faire passer la question des émissions des usines et celles des déchets, des sujets jusqu’alors accessoires, sur le devant de la scène.

Ainsi, à première vue, les semi-conducteurs n’ont pas leur place dans un portefeuille axé sur l’environnement. Néanmoins, quand on y regarde de plus près, les choses ne sont pas si simples.

Les semi-conducteurs au service de la transition écologique

En tant qu’investisseurs responsables à long terme, nous accordons une grande importance aux caractéristiques environnementales des secteurs et des entreprises lors de la construction de nos portefeuilles. Nous devons cependant aussi tenir compte du rôle crucial que jouent les semi-conducteurs dans la transition écologique. En d’autres termes, il est essentiel pour les investisseurs qui se concentrent sur le climat de regarder au-delà de l’empreinte carbone du secteur et d’évaluer ce que les experts appellent son «handprint», c’est-à-dire son impact positif sur le reste de l’économie.

Pour les semi-conducteurs, cet impact positif est particulièrement important dans le domaine de l’électrification – un élément clé de la décarbonation.

L’Agence internationale de l’énergie estime que, si nous voulons atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050, la part d’électricité dans la consommation totale d’énergie devra passer de 20% aujourd’hui à 50% pour remplacer les carburants fossilesAgence internationale de l’énergie.

Il faudra également que la proportion d’électricité renouvelable passe de 30% à 90%. Nous devons d’abord électrifier pour pouvoir décarboner. Nous devons également réduire la consommation totale d’énergie, ce qui implique une amélioration annuelle de 3% de l’intensité énergétique de l’économie, soit le double du rythme actuelWorld Energy Transitions Outlook 2023, IRENA.

Nous sommes convaincus que les semi-conducteurs sont des éléments vitaux pour la transition écologique.

Rien de tout cela ne sera possible sans semi-conducteurs.

Une catégorie de puces spécialisées, les « semi-conducteurs de puissance », est cruciale pour faciliter l’électrification. Ces puces servent principalement à contrôler l’alimentation en énergie électrique, ainsi que sa conversion (de courant continu à alternatif et inversement), son transfert et son stockage.

Bien qu’elles ne représentent qu’environ 5% de l’ensemble du marché des semi-conducteurs, soit 40 milliards de dollars, leur rôle est fondamentalhttps://straitsresearch.com/press-release/global-power-semiconductor-market-size

Les centrales solaires, par exemple, ont besoin de semi-conducteurs de puissance efficaces et fiables pour convertir le courant continu en courant alternatif et transmettre l’électricité avec le minimum de pertes.

Les semi-conducteurs sont également essentiels dans la modernisation des réseaux électriques, car ils peuvent les rendre plus réactifs face aux variations de l’offre et de la demande d’électricité.

Les puces sont tout aussi importantes pour l’industrie automobile. Avec l’adoption des véhicules électriques et le développement des voitures intelligentes, on assiste depuis dix ou vingt ans à une multiplication des semi-conducteurs installés dans chaque voiture.

Les semi-conducteurs sont donc cruciaux tout au long de la chaîne de valeur de l’électrification, du développement des énergies renouvelables au stockage sur réseau, en passant par les voitures électriques et leurs chargeurs.

Les investisseurs se trouvent donc face à une énigme. Comment concilier l’impact des entreprises de semi-conducteurs sur le monde naturel et l’impact systémique positif de leurs produits?

Limites planétaires et évaluation du cycle de vie

Pour la gestion de la stratégie Pictet Global Environmental Opportunities, notre approche de ce problème s’appuie sur deux cadres analytiques qui, une fois associés, nous aident à évaluer la contribution d’une entreprise à la transition écologique.

Le premier est le modèle des limites planétaires, un cadre scientifique conçu par des chercheurs de l’Université de Stockholm. Il analyse les neuf dimensions environnementales critiques pour la santé de notre planète (notamment le changement climatique, la biodiversité, l’eau et la pollution chimique). Surtout, il fixe les limites de l’«espace opératoire sûr» dans lequel les activités humaines doivent avoir lieu.

Nous appliquons le cadre des limites planétaires aux investissements à l’aide d’un autre cadre: l’évaluation du cycle de vie. Cet outil sert principalement à mesurer les quantités de matières premières, d’énergie et d’eau utilisées tout au long du cycle de vie d’un produit ainsi que les émissions générées. Les évaluations du cycle de vie nous permettent de cartographier l’impact environnemental d’une entreprise sur les neuf dimensions des limites planétaires.

L’empreinte des semi-conducteurs

Dans la figure 1, nous expliquons comment ces cadres sont utilisés dans la pratique. Ici, l’outil limites planétaires/évaluation du cycle de vie sert à mesurer l’impact d’un équipementier de semi-conducteurs sur chacune des neuf limites planétaires. L’analyse montre que cette entreprise a un impact négatif significatif sur la biodiversité et est également responsable de niveaux élevés de pollution chimique (en raison des déchets dangereux et de l’eau contaminée, que des mesures de traitement sur site peuvent permettre de gérer). Son impact environnemental sur les autres limites est négligeable. 

Fig. 1 – À la hauteur

L’empreinte d’un équipementier de semi-conducteurs sur les différentes limites planétaires

Source: Pictet Asset Management, août 2023. Uniquement à titre d’illustration.

Cette analyse peut nous amener à une autre conclusion: même si le secteur des semi-conducteurs a indéniablement un impact significatif sur l’environnement, il est plus faible que celui de nombreux autres secteurs. Et bien que les émissions du secteur puissent paraître élevées en termes absolus, elles ne représentent que 0,2% du total des émissions mondialesGlobal Energy Review 2021 de l’AIE, SEMI.

Il est également encourageant de constater que de nombreuses entreprises travaillent intensément à l'amélioration de leur bilan écologique. La plupart d’entre elles se sont fixé des objectifs tels que 100% d’énergies renouvelables et zéro émissions nettes ou la neutralité carbone au cours des prochaines années. En outre, le Semiconductor Climate Consortium (SCC) fait tout son possible pour que l’ensemble du secteur atteigne la neutralité carbone d’ici à 2050https://www.semi.org/en/industry-groups/semiconductor-climate-consortium.

Les semi-conducteurs peuvent notamment réduire leur empreinte au moyen de la lithographie par ultraviolets extrêmes (UVE). Il s’agit d’un processus de pointe pour le transfert de motifs sur la surface de la plaquette de silicium qui permet de réduire les émissions en diminuant le nombre d’étapes de moulage nécessaires par rapport aux UV traditionnelshttps://www.eenewseurope.com/en/imecs-virtual-fab-models-climate-impact-of-chipmaking-processes/.

Une autre solution consiste à émettre moins de gaz dangereux et à effet de serre pendant le processus de fabrication ou à mieux les traiter. Les fabricants de semi-conducteurs cherchent également à diminuer leurs déchets en introduisant le recyclage directement dans les usines.

L’impact écologique positif

Il est également vrai que le fait de se concentrer exclusivement sur les activités des fabricants de puces ne permet pas de se faire une idée exacte des mérites du secteur en matière d'environnement. En regardant au-delà des activités du secteur pour tenir compte de la contribution positive apportée par les semi-conducteurs à la construction d’une économie durable, les investisseurs pourront arriver à des conclusions radicalement différentes.   

C’est là que le concept de «handprint» (empreinte de la main) d’un secteur entre en jeu.

Le «handprint» d’une entreprise est l’effet positif que ses produits peuvent avoir sur l’empreinte environnementale de ses clients. Une entreprise crée une empreinte lorsqu'elle propose à ses clients une solution dont l'empreinte est inférieure à celle du «business-as-usual». Les professionnels de l'industrie appliquent actuellement ce concept aux émissions de carbone, mais nous pensons qu'il peut être appliqué plus largement à de nombreuses autres dimensions environnementales, notamment la consommation d'eau et l'utilisation de matériaux.

Le terme «handprint» représente donc un impact environnemental positif et plus il est fort, mieux c’est. Théoriquement, il n’a pas de limite.  

L’empreinte positive est difficile à mesurer avec précision, car elle représente la différence entre un scénario de référence et un scénario hypothétique. Ce concept ne sera donc jamais inclus de manière réaliste dans les règles en matière de divulgation d'informations relatives au climat.

Cependant, nous avons fait de l'évaluation du «handprint» un élément important du processus d'investissement de notre stratégie Pictet Global Environmental Opportunities. Nous voulons identifier et investir dans des entreprises qui minimisent non seulement leur propre empreinte environnementale, mais qui proposent également des solutions visant à améliorer les performances écologiques de leurs clients et du reste de l’économie. Ces sociétés forment l’univers de nos opportunités d’investissement.

Notre analyse montre que l’empreinte d’un équipementier de semi-conducteurs est nettement plus faible que son empreinte positive potentielle. De la production d'électricité renouvelable à l'amélioration de l'efficacité de son utilisation, les semi-conducteurs ont un rôle clé à jouer dans la transition écologique.

Selon une analyse de MSCI, environ la moitié des entreprises du secteur des semi-conducteurs tirent des revenus de produits et de services qui contribuent directement à la transition écologique, tels que la production d’énergie solaire et les véhicules électriquesMSCI, Industry Report: Semiconductors & Semiconductor Equipment, 2022. En outre, de nombreuses autres pourraient être indirectement impliquées.

Cet impact est difficile à mesurer et seules quelques études existent sur ce sujet. Nous devons donc considérer que tout chiffre n’est qu’une estimation.  Néanmoins, une analyse réalisée par Accenture et la Global Enabling Sustainability Initiative (GeSI) laisse entendre que les solutions liées aux technologies de l’information et des communications (TIC) pourraient réduire les émissions mondiales de CO2 de 12 Gt d’ici à 2030 (soit environ un tiers des émissions actuelles du secteur et celles des carburants fossiles) et favoriser une croissance économique durable dans les secteurs de la mobilité, de l’industrie, de l’agriculture, du bâtiment et de l’énergiehttps://smarter2030.gesi.org/downloads/Full_report.pdf.

Pour ne citer que quelques exemples, dans le secteur de l’énergie, le déploiement de systèmes de gestion de l’énergie, l’augmentation et l’intégration des énergies renouvelables dans les réseaux ainsi que l’amélioration de l’efficacité des réseaux pourraient fait baisser les émissions. En outre, les émissions du secteur des bâtiments pourraient reculer de 30 à 40% grâce à la mise en place de systèmes de gestion des bâtiments (BMS, Building Management System), qui utilisent des ordinateurs pour surveiller et ajuster les équipements mécaniques et électriques d’un bâtiment, tels que le chauffage, la ventilation et l’éclairage.

Aucune de ces économies ne serait possible sans semi-conducteurs, ou, en effet, sans le secteur technologique dans son ensemble. Les baisses potentielles totales dans l’énergie, les bâtiments et l’industrie s’élèvent à 5,8 Gt, soit près de cinq fois plus que l’empreinte totale du secteur technologiqueWRI, IPCC, GeSI, SMARTer2020, Accenture, Pictet Asset Management. Les économies sont en outre beaucoup plus fortes si l’on inclut d’autres domaines, tels que l’agriculture. 

De ce point de vue, les semi-conducteurs sont un élément clé de la transition écologique: ils sont essentiels pour l’électrification, qui est elle-même indispensable à la décarbonation.