Passant tour à tour des grandes espérances à la déception, les investisseurs sur les marchés d’actions chinois ont connu des hauts et des bas cette année.
La réouverture soudaine du pays après les confinements liés à la Covid en janvier a été largement saluée comme un tournant décisif. Elle a suscité l’espoir d’une explosion des dépenses de consommation qui pourrait relancer les bénéfices des entreprises et mettrait fin à des années de croissance décevante des profits.
Ce n’est pourtant pas ce scénario optimiste qui s’est produit.
La Chine est désormais au bord de la déflation, les ménages conservent leur épargne et les dépenses de consommation restent inférieures à la tendance observée pendant les six années précédant la crise. Nous tablons désormais sur une croissance de 5% de l’économie cette année, contre une prévision initiale de 6%. Les investisseurs pourraient donc être tentés de quitter complètement la Chine.
Parmi toutes les actions, celles de Chine font en tout cas partie des très rares à n’avoir pas encore enregistré de performances à deux chiffres cette annéeIndice MSCI China en devise locale, données couvrant la période allant du 01.01.2023 au 16.10.2023.
Même les investisseurs qui se concentrent sur les marchés émergents se détournent de ce marché et les fonds affichent généralement des pondérations en actions chinoises inférieures aux allocations de référenceEPFR Global et JP Morgan, 06.10.2023.
Cela dit, la Chine reste trop grande pour être ignorée par les investisseurs.
Plusieurs raisons expliquent pourquoi il faut considérer les actions chinoises comme une allocation stratégique pour des portefeuilles mondiaux.
Le pays est un leader mondial dans plusieurs industries de transformation clés, il constitue un marché de consommation en pleine croissance et son économie devrait prendre la première place mondiale dans moins de dix ans.
De même, rien ne donne à penser que la fortune des entreprises chinoises changera rapidement. Les changements qui pourraient profiter aux performances des actions chinoises ne surviendront que très progressivement au cours des cinq années à venir.
Les investisseurs feraient donc mieux de reconstituer en continu des positions dans un certain nombre de secteurs sélectionnés, en se concentrant sur ceux que les autorités chinoises considèrent comme des priorités stratégiques.
Croissance élevée, faibles bénéfices
Bien que la Chine et d’autres marchés émergents aient affiché une croissance du PIB plus forte que les économies avancées ces dernières années, les bénéfices de leurs entreprises sont restés nettement inférieurs à ceux des pays plus avancés.
Les entreprises chinoises ont enregistré des résultats particulièrement mauvais.
Le taux de croissance annuel composé des bénéfices par action des entreprises de Chine est resté en retrait de la croissance économique du pays de pas moins de 8 points de pourcentage ces 15 dernières années, soit le double du retard moyen enregistré sur les marchés émergentsRefinitiv, données couvrant la période allant du 31.04.2008 au 31.03.2023.
La comparaison avec les États-Unis est également défavorable, où les bénéfices ont progressé plus rapidement que l’économie: 2 points de pourcentage au cours de la même période.
Le tumulte réglementaire touche (presque) à sa fin
L’incapacité historique de la Chine à convertir la croissance du PIB en croissance des bénéfices a plusieurs causes.
L’environnement réglementaire volatil, la dilution des actions et la faiblesse de la gouvernance sont autant de facteurs qui ont freiné les bénéfices des entreprises.
Pourtant, plusieurs raisons donnent à croire que ces vents contraires pourraient s’atténuer quelque peu au cours des prochaines années.
La réglementation est le problème le plus épineux auquel sont confrontées les entreprises et leurs actionnaires.
La Chine a lancé des réformes structurelles destinées à construire une croissance soutenue et équilibrée, tournant ainsi le dos à l’excès d’investissements que le crédit a alimenté ces dernières années.
Mais ce changement s’est accompagné d’une tendance de Pékin à imposer une répression réglementaire soudaine sur des secteurs qu’elle estime trop puissants.
Les deux années et demie de restrictions, qui ont impliqué les entreprises phares de secteurs allant de la technologie et de l’éducation à la finance ou aux jeux vidéos, telles qu’Alibaba, Tencent et Didi Chuxing, ont effacé plus de 1 000 milliards de dollars US de valeur sur le marché boursier et réduit la capacité des entreprises à augmenter leurs bénéfices.
Il y a pourtant des signes d’assouplissement des tensions entre le secteur privé et les autorités publiques, ce qui est encourageant pour les investisseurs.
Les entreprises chinoises rationalisent leurs activités et renforcent leur résilience face au ralentissement de la croissance économique, et les mesures qu’elles prennent pour améliorer leur situation portent leurs fruits.
En juillet, la Banque populaire de Chine a infligé à Ant Group, une filiale d’Alibaba, une amende de près de 1 milliard de dollars pour avoir enfreint différentes réglementations. Cette décision a suscité l’espoir qu’une éventuelle fin du déluge réglementaire permette à la société d’obtenir une licence de holding financière et de relancer ses projets de cotation en bourse.
Au cours de ce même mois, Pékin s’est également engagée à améliorer la situation pour les entreprises privées. Les autorités ont ainsi présenté plus de 30 mesures, notamment la promesse de traiter les entreprises privées comme des entreprises publiques, de consulter davantage les entrepreneurs pour l’élaboration des politiques et de réduire les barrières à l’entrée sur le marché pour les entreprises.
Les sociétés chinoises rationalisent quant à elles leurs activités et renforcent leur résilience face au ralentissement de la croissance économique.
Nombre d’entre elles ont durci leur contrôle des dépenses opérationnelles, ce qui leur a permis d’améliorer leur marge d’exploitation et la croissance de leurs bénéfices.
La dernière saison de résultats trimestriels a confirmé une tendance qui avait débuté l’année dernière: la croissance des bénéfices a été bien meilleure que celle des ventes, en particulier chez les géants d’Internet et parmi les entreprises de consommation, ce qui illustre que les mesures qu’elles prennent pour améliorer leur situation portent leurs fruits.
Rachat contre dilution
Les investisseurs en actions chinoises ont toujours été confrontés au problème de la dilution. De nombreux marchés émergents partagent cette caractéristique: les entreprises qui connaissent une poussée de croissance émettent souvent de nouvelles actions ou des actions supplémentaires pour financer leur expansion, ce qui réduit la part relative des actionnaires existants et dilue donc le bénéfice par action.
La Chine a connu des dilutions particulièrement marquées des actions au regard de ses homologues émergents. Selon nos estimations, les ventes d’actions secondaires effectuées par des sociétés présentes dans le principal indice de référence des actions du pays ont réduit le bénéfice par action d’environ 2% par an.
Les autorités chinoises semblent toutefois prêtes à alléger cette pression. L’autorité de régulation des valeurs mobilières du pays a révisé ses règles en vue de faciliter le rachat d’actions par les sociétés cotées en bourse et de «protéger activement leur valeur d’investissement et les intérêts des petits actionnaires».
En août, elle a également annoncé un train de mesures visant à soutenir les rachats d’actions et à encourager les investissements à long terme. Plus de 30 entreprises, notamment dans les secteurs de la technologie et de la santé en ligne, ont déjà annoncé des plans de rachat d’actions.
Le rythme des introductions en bourse a aussi fortement ralenti ces deux dernières années: la valeur des transactions annoncées est tombée à seulement 51 milliards de RMB sur les 10 premiers mois de l’année, contre près de 1 000 milliards de RMB en 2021Bloomberg, données au 25.10.2023.
Nous prenons également note de l’évolution encourageante des efforts entrepris par le pays dans la refonte de ses gigantesques entreprises publiques, ce qui devrait améliorer les perspectives de bénéfices des entreprises.
Pékin a mis un coup d’accélérateur pour orienter ces grandes entreprises publiques, qui représentent près d’un tiers de l’indice de référence, vers une rationalisation, une amélioration de la profitabilité et de la rentabilité des actionnaires et une meilleure communication avec les investisseurs. Le gouvernement a ainsi lancé une réorganisation qui pourrait permettre de revaloriser le secteur et de renforcer la visibilité des flux de trésorerie futurs.
Il a également ajouté le «relèvement du ratio de distribution de dividendes» parmi les principaux indicateurs de performance des entreprises publiques, ce qui devrait également bénéficier aux actionnaires minoritaires.
Les investisseurs sont certainement de plus en plus optimistes. Les entreprises publiques cotées de Chine continentale – qui représentent près d’un tiers de l’indice de référence CSI300 – ont surperformé le marché dans son ensemble cette année: China Mobile a ainsi gagné 47% cette année, tandis que China Mobile et PetroChina progressaient de plus de 50%.
L’indice composé de 100 entreprises publiques est parvenu à rester stable cette année, faisant ainsi mieux que l’indice plus étendu, qui a reculé de 10%Indices Shanghai Stock Exchange State-Owned 100 et MSCI China, données couvrant la période allant du 01.01.2023 au 07.08.2023.
Ces entreprises détenues par l’État, qui vont des opérateurs de télécommunications à des entreprises d’extraction de ressources ou des sociétés industrielles, bénéficient en outre d’un avantage concurrentiel par rapport aux autres. En effet, Pékin souhaite qu’elles jouent un rôle central pour réaliser son objectif d’autosuffisance dans des secteurs stratégiques tels que les semi-conducteurs, la robotique ou les technologies environnementales.
La prospérité avant la rentabilité
Malgré toutes ces évolutions positives, certains facteurs qui ont entravé la rentabilité des entreprises chinoises continueront certainement de caractériser le panorama des investissements au cours des prochaines années.
Prenons la géopolitique. Les tensions politiques impliquant la Chine devraient persister, voire s’intensifier, car de nombreux gouvernements tentent de renforcer leur indépendance et leur autosuffisance économiques dans des secteurs stratégiquement importants, qui sont essentiels pour préserver leur croissance future.
Face à un environnement qui évolue rapidement et où les surprises et les risques imprévus sont nombreux, les investisseurs doivent prendre conscience que les actifs chinois ne conviennent pas à une approche passive du type «acheter et oublier».
Ils doivent plutôt adopter une approche active, dans laquelle ils suivent constamment les évolutions et sont prêts à changer rapidement de cap. Selon nous, les investisseurs doivent être particulièrement conscients des risques dans les domaines suivants:
La relation États-Unis-Chine. Une amélioration de la relation entre les deux puissances économiques concernant le commerce et la technologie stimulerait la croissance du PIB potentiel chinois tout en réduisant considérablement la prime de risque à l’origine de la décote actuelle. Les deux pays ont relancé leurs discussions à l’occasion des visites de la Secrétaire au Trésor Janet Yellen à Pékin en juillet et de la Secrétaire au Commerce Gina Raimondo en août. Des années de méfiance croissante ne disparaîtront cependant pas du jour au lendemain. Nous aurons besoin d’observer des progrès tangibles, comme la levée des restrictions à l’exportation, avant que notre point de vue sur la Chine puisse véritablement changer. Cela n’aura, selon nous, que peu de chances d’arriver dans les années à venir, certaines de ces barrières faisant partie intégrante de législations phares récemment adoptées telles que l’Inflation Reduction Act.
Objectifs stratégiques. La quête que mène la Chine pour son autosuffisance dans les technologies stratégiques clés, telles que la décarbonation, la défense et les semi-conducteurs, pourrait faire émerger une multitude d’opportunités rentables pour les entreprises de ces secteurs. Cela se fait toutefois au détriment de la profitabilité et de la rentabilité des actionnaires des secteurs non alignés et de leurs investisseurs. La volatilité sera plus forte dans des secteurs tels que la santé. Les efforts déployés par Pékin pour éradiquer les pots-de-vin et la corruption qui sont généralisés dans le commerce des médicaments ont provoqué des pertes de plus de 15% pour ce secteur, qui ne représente toutefois qu’une petite partie de l’indice de référence (un peu plus de 6%)Refinitiv, données au 16.10.2023.
Prospérité commune. Même si les récentes vagues de répression réglementaire ont montré un certain apaisement, une chose ne change pas: l’objectif politique de longue date à l’origine de ces mesures. Ce slogan du Parti communiste, qui fait passer l’équité sociale et économique avant les bénéfices des entreprises, a gagné en importance sous la présidence de Xi Jinping. Le gouvernement s’est servi de la prospérité commune pour justifier son contrôle serré des entreprises et sa mainmise sur une «expansion désordonnée du capital». Ces dernières années, l’objectif de prospérité équitable fait partie des facteurs qui ont étouffé l’innovation et supprimé le dynamisme des entreprises chinoises. Même si certains ajustements peuvent survenir, nous ne pensons pas que Pékin abandonnera cet objectif politique dans les années à venir.
La Chine au sein d’un portefeuille d’actions mondiales
La Chine est un marché qui devrait garder un rôle clé dans un portefeuille d’actions mondiales, tant en raison des opportunités qu’elle présente que des avantages de diversification qu’elle permet.
Cela dit, pour réellement profiter du potentiel économique de la locomotive asiatique, les investisseurs sur les marchés boursiers du pays doivent faire preuve de perspicacité.
En dépit des difficultés à court terme pour les fondamentaux macroéconomiques chinois, nous constatons des évolutions plus encourageantes parmi les entreprises individuelles.
La prime de risque plus élevée sur la Chine – principalement en raison de l’incertitude macroéconomique et des préoccupations géopolitiques – a pesé sur les multiples des actions, mais elle a également généré des opportunités attrayantes du côté des valorisations.
Nous pensons qu’au cours des cinq prochaines années, les actions chinoises généreront ce que l’on ne peut que décrire comme une performance modeste, avec environ 7% par an, hors effet de change.
Une telle performance, et la perspective que les actions chinoises continuent de se négocier à un prix très inférieur à celui des actions des pays développés, suggèrent que le «bêta» du marché pourrait ne pas être une source de performance fiable.
Les investisseurs devraient donc partir à la recherche de sociétés aux bilans solides, au pouvoir de fixation des prix durable et aux valorisations attrayantes dans des secteurs alignés sur les priorités politiques de Pékin.